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Et pourquoi pas, dis ?
11 novembre 2014

Je suis prof, de maths en plus.

Cet été, dans une édition de Ouest France, on a pu y lire:

P1010370

Alors bien sûr, ça m'interpelle. Pénurie de profs, je comprends bien. Mais pourquoi spécialement de maths????

Quand je rencontre des nouveaux gens, et qu'on me demande ce que je fais dans la vie ("je mange, je ris, j'essaye de mettre du rouge à lèvres, je rêve de mon anniversaire 363 jours par an, je regarde mes filles grandir, je mate des conneries à la télé, je fais un peu de couture, je ne suis jamais une recette de cuisine en entier, j'écris des mails à mes copines, je chante dans une chorale, je.... Oh pardon, je m'égare!..."), je réponds que je suis prof. Puis j'ajoute, si on m'en demande davantage, que je suis prof de maths.

Là, plusieurs réactions possibles :
- j'ai droit à l'historique du gens sur sa scolarité, surtout en maths (et c'est surtout vrai pour celui qui détestait ça) ;
- il me regarde avec des yeux remplis de pitié, genre "ma pauvre!....." ;
- il est étonné "ah bon? On dirait pas, j'aurais dit Arts Plastiques ou Histoire-Géo" [je sais pas comment je dois le prendre?!? Mais j'ai l'impression que c'est un compliment !...] ;
- il est effrayé (j'aurais annoncé que je suis huissier de justice ou arracheuse de dents, ç'eut été pareil) ;
- il m'agresse en me demandant quand est le prochain mouvement de grève ;
- il ricane et enchaine sur les vacances qui reviennent drôlement souvent, non?

Mais quand-même : pourquoi les maths font-elles aussi peur ?

Aujourd'hui, il y a moins de gens qui croient en les enseignants que de gens qui croient au père Noël (sauf parmi les personnes ayant moins de 6 ans, peut-être) (et encore). La profession ne fait pas rêver. Mais elle attise les jalousies, paradoxalement.
J'enseigne dans un collège "sans étiquette", nous avons 30 élèves dans quasi toutes les classes, nous avons un public très large (qui va de l'élève qui passe sa vie à lire à celui qui ne sait pas lire, en cinquième, oui, oui), et quand je rentre chez moi le soir, je suis fatiguée. Pas la fatigue du travail accompli, non, la fatigue physique et surtout nerveuse d'avoir été au combat toute la journée.

Oh, je te rassure! Je ne changerai de métier pour rien au monde ! J'aime transmettre, j'aime le contact avec les jeunes, j'aime être "en représentation quotidienne", j'aime adapter les chapitres que j'enseigne à la classe que j'ai en face de moi!
Mais je suis épuisée de l'énergie que cela demande parfois.
Fatiguée des "ferme ta gueule, ouech", "la vie d'ma mère" et autres "j'm'en bats les couilles" (vis ma vie entre les murs).
Et surtout lassée de me sentir impuissante devant des élèves qui ne savent pas compter, qui n'ont pas compris le sens des opérations et qui sont passés entre les mailles du filet depuis l'école élémentaire et que je ne peux pas aider (bordel). Pas de moyens, qu'ils disent, au rectorat. "Mais pensez à différencier votre pédagogie, hein!".

En clair, sur 55 minutes de cours :

- faire ranger les élèves dans le couloir pour qu'ils entrent dans le calme en classe -> 1 minute

- les faire s'asseoir ("non, tu ne changes pas de place et tu ne vas pas à côté de ton double maléfique, même si tu es prêt à mettre en jeu la vie de ta mère pour essayer de me convaincre"), sortir leurs affaires ("Madaaaaaaaaame, j'ai oublié mon cahier, je l'ai confondu avec celui d'anglais!" ; les autres : "quel boloss, on n'a pas anglais aujourd'hui!!!") et attendre le silence -> 3 minutes

- faire l'appel, dire bonjour, donner les grandes lignes de ce qui va se passer dans la séance -> 2 minutes

- vérifier les devoirs et/ou les signatures sur le dernier contrôle, distribuer les tests de la veille -> 3 minutes (c'est qu'ils sont nombreux)

- regarder le mot de la vie scolaire que M. me montre quand il arrive en retard (après presque 10 minutes de cours, donc) et de nouveau attendre le silence -> 1 minute

- demander qui est volontaire pour aller corriger les exercices au tableau ("je voudrais 3 bonhommes, s'il-vous-plaît"), écouter les garçons râler si je n'envoie que des filles ("oui, mais je préfère les filles de toutes façons") ou les filles râler si je n'envoie que des garçons ("oui mais je préfère les garçons de toutes façons"), laisser faire, prier en mon for intérieur pour qu'il y ait quelques erreurs (tellement plus intéressant, pédagogiquement parlant), demander si tout le monde est d'accord, valider la correction -> 10 minutes

- attendre que tout le monde soit attentif pour lancer l'activité suivante, les regarder s'agiter, discuter, rêvasser,  -> 4 minutes

- expliquer ce que j'attends d'eux , pester parce que c'est de la géométrie, zut, va falloir qu'ils sortent leurs compas et autres rapporteurs ("Madaaaaaame, j'ai pas de compas!" ; "est-ce que tu vas à la piscine sans maillot de bain? Non? Bon alors tu ne viens pas en cours de maths sans compas!"), distribuer les compas manquants aux 17 élèves qui ont oublié leur maillot de bain -> 6 minutes

- les laisser travailler seuls face à leur exercice tout en demandant à B. de se taire ("mais c'est J. qui me parle!"), demander à J. de ne pas répondre ("eh *#*%¥, p******, vas-y, c'est pas moi, va te faire !°$%}*["), prendre les carnets, sommer Y. de ranger son téléphone dans son sac, même s'il fait calculatrice, rappeler A. à l'ordre parce qu'il se balance sur sa chaise, intercepter le petit mot -très fleuri et imagé- que L. a envoyé discrètement à C., le lire et rire, les gronder quand-même parce que bon, y'a un triangle à construire, là -> 12 minutes

- tenter de ne pas rigoler en entendant la derniere intervention de C., mon élève pref de cette année (remember le : "Madaaaaaaame, j'ai la pomme des dents qui pousse dans ma boîte vocale, c'est grave?". Ou bien: "Madaaaaaaame, hein que c'est Charlemagne qui a inventé les maths, pas vrai? Puisqu'il a inventé l'école, il a inventé les maths, non?". Ou encore: "Madaaaaaame, est-ce qu'on peut tomber enceinte en buvant du Redbull? Parce qu'il y a du sperme de taureau dedans, non?". Etc etc), rigoler quand-même -> 3 minutes

- faire un bilan de ce qu'ils doivent retenir du cours, avec, parfois, devinette par pendu d'un mot important à connaître -> 5 minutes

- vérifier que tout le monde a bien noté ce qui est au tableau, dans la bonne partie du cahier ("non, tu n'écris pas dans ton cahier d'anglais, tu prends une feuille") -> 3 minutes

- donner les devoirs pour le lendemain, tout en remplissant le cahier de texte éléctronique et en mettant un mot dans les carnets ramassés précédemment -> 2 minutes

Voilà.Les cours passent vite. Et je n'ai pas une minute pour aider B. à comprendre ce qui est attendu dans cette merveilleuse construction de triangle accompagné de son cercle circonscrit ("non, ça n'est pas comme circoncis, C....").
Et je rentre chez moi frustrée de l'avoir laissée encore avec ses incompréhensions.

Il faut aussi que tu saches que pour préparer ces "quelques minutes" de cours, j'ai "quelques minutes" de préparation en amont. Évidemment, plus j'enchaîne les années de prof de maths, plus c'est facile de préparer un cours. 12 ans de Pythagore, je peux te dire que tu maîtrises ton sujet, à force.
Mais il reste toujours les progressions à revoir (Pythagore avant ou après le chapitre sur Triangle rectangle et cercle ? Thalès avant ou après la Proportionnalité ?), donc les applications qui peuvent changer, il reste aussi les corrections, les sujets de contrôle, à renouveler, et surtout, tout les à-côtés : les élèves à découvrir, leurs familles à rencontrer, les réunions diverses et variées.
Les vacances, si nombreuses, sont consacrées un tiers à travailler, un tiers à récupérer/décompresser, et un tiers à ce qu'on entend vraiment par vacances.

Je ne me plains pas, j'aime mon métier, je l'ai choisi (de mère en fille depuis des générations, j'te f'rais dire).
Et puisqu'il y a pénurie de profs de maths, je t'encourage vivement à me rejoindre !

 

 

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